VERCORS: PSYCHOLOGUE AMATEUR ET ÉCRIVAIN CHEVRONNÉ

Transnational Research Associates


Dans son roman intitulé « Le Silence de la Mer », une oeuvre bien appréciée par les lecteurs du monde entier, Vercors décrit la Résistance Française pendant la deuxième guerre mondiale. Il nous propose des centaines de détails fascinants du courage et de la camaraderie qui existaient lors de ces tristes événements qui ont traumatisé la France pendant les années quarante.

Toutefois, le thème principal de ce livre n'est pas limité exclusivement à une narration banale de la violence et de la confusion de cette guerre que beaucoup d'autres écrivains ont déjà décrites. En effet, Vercors met en lumière les subtilités du caractère humain en créant des analogies symboliques qui révèlent une dynamique interpersonnelle profonde entre les personnages principaux.

Etant donné la gravité des événements qui les entourent, les deux personnages les plus souvent mentionnés par Vercors, c'est-à-dire la nièce du narrateur et Werner Von Ebrennac, un soldat allemand, restent solonnellement plongés dans le silence, entre eux, en raison de la haine qu'abrite la nièce envers la guerre et sa forte résistance contre la réalité troublante de la guerre, en général. Comment peut-elle, pacifiste, accepter la présence de ce soldat allemand dans sa maison, lorsque toute l'Europe s'entredéchire?

On peut voir, dès le premier chapitre, qu'il existe une lueur de tension entre la nièce et Werner, lorsqu'il est venu. Le soldat, Werner, entre dans la maison des deux Français. Quand il s'y installe, le silence et l'hostilité de la nièce constituent la preuve visible de sa résistance. Par exemple, à la page 22, nous lisons :

Ce paragraphe, que l'auteur nous offre juste après l'arrivée du soldat, décrit le commencement du silence, et de la ferme résistance de la nièce. Sur une échelle beaucoup plus vaste, bien sûr, l'auteur nous confirme, par l'attitude de la nièce, les sentiments de toute la France envers les envahisseurs.

Comme pour imposer sa présence sur eux, tous les soirs, le soldat descend les escaliers et entre dans le salon des deux Français. Il parle, un peu, du sujet de la guerre entre la France et l'Allemagne. Pendant qu'il parle, la nièce reste immobile, sans bouger. Elle coud toujours, et quand Werner entre dans le salon, elle coud même plus dur. Le lecteur imagine qu'elle coud, de profil, assise à sa fenêtre, presque transpirant la haine et l'horreur qu'elle ressent devant la réalité de la guerre et la présence du soldat.

Dans ce paragraphe, par exemple, on voit , non seulement la nièce qui laisse voir une certaine haine envers le soldat et la guerre, mais aussi on constate que l'oncle, le narrateur, n'a pas envie de parler avec le soldat non plus. Tous les deux aimeraient que le soldat parte, mais il y reste malgre tout.

La nièce ne le regarde jamais. D'un bout du roman à l'autre, elle ne dit absolument rien. Ce qui est même plus étonnant, elle ne bouge jamais quand le soldat est présent. A la page 28, nous pouvons voir la tenacité et la détermination de la nièce lorsque le soldat lui adresse la parole:

En plus, le soldat, quand il parle, regarde, avec une sorte de férocité, la nièce. A chaque fois qu'il la regarde, elle ne fait rien. Elle ne fait jamais attention au soldat. Il paraît nettement que la nièce déteste la guerre parce que tous ses agissements et toutes ses actions, dont surtout son silence et son indifférence envers le soldat, trahissent son attitude anti-guerre de résistance et de haine.

Après avoir écouté le soldat avec patience, l'oncle parle de l'humanité. Il veut savoir s'il est juste, du point de vue humanitaire, de ne pas parler avec leur soldat. Évidemment, la nièce pense qu'ils ne sont pas injustes envers le soldat, parce qu'elle ne dit toujours rien. Quel silence dont elle fait preuve devant même son oncle dans cet épisode! Il est apparent que l'oncle ressent un peu de honte après avoir suggéré qu'ils rompent le silence momentanément.

Le silence dans ce roman règne partout, sauf quand le soldat s'exprime chaque soir. On ne sait jamais ce que la nièce pense exactement, mais, on peut deviner qu'elle n'aime pas l'idée de la guerre. Et qu'elle s'oppose fortement à la présence de ce soldat chez eux, probablement pour des raisons plus philosophiques que personnelles.

Il y a pourtant un épisode lors duquel Werner parle favorablement de la France. Il dit que tous les meilleurs auteurs du monde viennent de la France. Mais il affirme aussi que les meilleurs compositeurs viennent de l'Allemagne. Après s'être exprimé de cette façon, il parle, comme l'est souvent le cas, de la guerre. Quand il finit, comme toujours, il regarde la nièce et semble vouloir voir sa réaction à ce qu'il vient de dire.

Ce paragraphe démontre les vrais sentiments de tension et de rancune de la nièce. Elle n'aime ni ce soldat, ni certainement pas la guerre. Comme il a été le cas partout dans ce livre, elle ne veut meme pas que le soldat la regarde. Les pensées passagères de bonheur qu'elle auraient pu avoir, disparaissent complètement lorsque le soldat tente d'attirer son attention.

Quand le soldat quitte la maison, rien ne change. Le narrateur, et sa nièce fait comme si de rien n'était; ils poursuivent leur silence. La nièce pense au soldat, toujours têtue. Elle fait des gestes qui donnent l'impression que peut-être le soldat, objet de sa haine, lui manque. Le lecteur est convaincu qu'elle n'aime pas le soldat; pourtant, si cette haine vise vraiment le soldat, on n'en est pas totalement sûr.

À la fin du roman, Werner prononce un mot qui décrit qu'il a l'intention de partir pour toujours. Ce mot est «Adieu». La citation qui revèle cet épisode dramatique est reprise ci-dessous:

La nièce prononce ce mot-là, l'unique qu'elle ait offert au soldat, pour signaler un adieu final. De tels adieux signifient qu'ils ne vont jamais se revoir. Donc, elle prononce cet « adieu » pour communiquer qu'elle ne va jamais revoir ni le soldat, ... ni peut-être la guerre, qu'elle déteste tant.

Il faut essayer d'offrir une interprétation du silence persistant de la nièce à travers l'ensemble de ce roman de Vercors. Peut-on réellement croire que le geste de silence perpetuel de cette fille puisse représenter seulement sa résistance personnelle contre la violence qui l'entoure symboliquement et physiquement? Ou doit-on supposer que Vercors, lui-même, préfère nous révéler quelquechose de plus profond?

Sans doute, l'auteur nous transmet-il son idée de la paix universelle. Nous devons tous lutter contre la violence, contre la guerre et contre le militarisme pour éviter qu'une autre guerre mondiale ne se produise. De plus, Vercors nous montre que l'oncle reconnaît et accepte le symbolisme de sa nièce; et, pour sa part, la nièce persiste de façon dramatique, probablement parce que Vercors voulait qu'elle le fasse, mais aussi, certes, parce que si elle avait existé dans la vie réelle, elle serait restée aussi silencieuse que dans l'imagination de Vercors.

L'ensemble de ce geste symbolique de silence, qu'il vienne de l'auteur, de la fille, ou de la situation historique dans laquelle il nous est offert, peut être interprété comme étant un signe de l'anti-militarisme de l'époque et comme un avertissement pour les générations futures qui seraient tentées de se plonger dans une guerre aussi triste et désastreuse que ne l'était la Deuxième Guerre Mondiale.